Par Fabien Taïeb et Claude Frydman
Le Grand Orient de France a œuvré de tous temps pour son universalité. La franc-maçonnerie en Israël a une histoire riche mais méconnue. Le GODF implanté depuis cent ans y a joué un rôle important. De nombreux voyageurs parmi eux des francs-maçons tels Mark Twain[1], Elisée Reclus[2], ont évoqué une région aride et désertique, les épidémies et la misère. La population était composée majoritairement de bédouins nomades et de fellahs. La densité variait selon les recensements de 4 à 8 habitants au km2[3] (385 en 2013). Paradoxalement cette région si défavorisée va connaitre un développement extraordinaire sur tous les plans, et en particulier sur le plan maçonnique.
Robert Morris, maçon américain venu en 1860 ne trouva pas les traces anciennes qu'il cherchait, il décida alors de créer la maçonnerie en Palestine. Il organisa la première réunion maçonnique du pays, le 13 mai 1868, dans la grotte de Sédécias à Jérusalem. La première loge de Palestine fondée à Jérusalem en 1873[4], Royal Solomon Mother Lodge était sous la juridiction de la Grande Loge du Canada.
Des ingénieurs français qui après le Canal de Suez construisaient la ligne de chemin de fer de Jaffa à Jérusalem[5] créèrent à Jaffa le 25 août 1891 le Port du Temple de Salomon, relevant du Grand Orient de Turquie, loge mise en sommeil en 1904.
En mars 1906, d'anciens membres décidèrent la création d'une nouvelle loge sous les auspices du GODF qu'ils nommeront l’Aurore, en référence au journal qui a publié le célèbre " j’accuse " (Barkaï en hébreu; Shafaq en arabe). Les fondateurs étaient chrétiens et juifs palestiniens, les musulmans devinrent ensuite majoritaires ; les questions religieuses et ethniques ne se posaient pas. Le charismatique César Araktingi, Vice-Consul de Grande Bretagne s'affilia à Barkaï le 13 mars 1906. Il fut élu Vénérable Maître de la loge, et le resta 23 ans.
Les planches étaient lues en arabe avec un résumé en français. Les initiations et les augmentations de salaire se faisait en arabe, au rite écossais ancien accepté, mais la loge ouvrait et fermait ses travaux au rite français.
Les frères de Jérusalem, décidèrent de réveiller l’ancienne loge le Port du Temple de Salomon au rite français. La loge s’ouvrit sous obédience turque, elle dut invoquer le Grand Architecte de l’Univers, pratiquer le rite écossais tout en conservant la batterie française : Liberté, Égalité, Fraternité.
En 1913 fut fondée une nouvelle loge Moriah en souvenir du mont sur lequel fut édifié le Temple de Salomon. Son activité fut intense dans la tradition de la Maçonnerie française : établissement d'un lycée laïque, société pour la construction du tramway électrique et l’éclairage de Jérusalem.
Contrairement aux autres loges de la région aux objectifs essentiellement révolutionnaires (Turquie, Egypte, Syrie, Liban), la maçonnerie en Palestine avait une vocation humaniste[6].
La Turquie est entrée en guerre en 1914. Barkaï a tenté d'établir un pont entre le Grand Orient de France et la Grande Loge de Turquie. En fin 1918, les frères de Barkaï ont envisagé d’ouvrir une loge avec pour objectif d’apaiser les hostilités des Turcs envers les Arméniens. Avec la dislocation de l'Empire Ottoman, les négociations sous l'égide de la Société des Nations où se sont illustrés les frères Alexandre Millerand, Léon Bourgeois et René Viviani aboutirent au foyer juif en Palestine et au mandat Britannique sur la Palestine.
Le 6 Avril 1918 est pour les francs-maçons un jour qui va marquer leur histoire. Un groupe de francs-maçons, militaires néo-zélandais de l'armée du général Allenby qui avait conquis Jérusalem, a réussi à tenir une cérémonie clandestine sous le Dôme du Rocher. Depuis ce jour, les francs-maçons n'ont pu revenir au Mont du Temple[7].
La situation devint instable sous le mandat britannique. Il y eut des émeutes arabes et des massacres en 1921,1929[8] et 1936, des temples furent incendiés, de nombreux francs-maçons juifs et arabes furent assassinés[9].
En 1938, la loge Barkaï fêta la 32ème année de sa fondation. Le Grand Maître Arthur Groussier était invité d'honneur[10]. Il fut fait à cette occasion Grand Maître Honoraire de la Grande Loge Nationale de Palestine-Eretz-Israël.
Le Grand Orient de France a cessé ses activités pendant la guerre. En 1942, Barkaï est passée sous les auspices de la Grande Loge Nationale de Palestine-Eretz-Israël. Après la guerre d'indépendance et la création de l'Etat d'Israël toutes les loges s'unirent pour fonder une obédience unique, la Grande Loge de l'Etat d'Israël, obédience dite régulière, reconnue par la Grande Loge Unie d'Angleterre.
Israël est un "Alte neue land", un ancien nouveau pays selon la formule de Theodore Herzl, un mélange de traditions et de modernité. La franc-maçonnerie du Grand Orient de France, initiatique et tournée vers l'avenir y a pleinement sa place pour apporter ses idéaux de fraternité, de tolérance et de laïcité. [1] Mark Twain : The Innocents Abroad, p. 361-362 (1869) [2] Elisée Reclus : Nouvelle Géographie Universelle, tome 9, p. 741. [3] Recensement Peters et recensement turc 1893. [4] Michelle Campos - Freemasonry in Ottoman Palestine. [5] André Combes – Le Grand Orient de France en Palestine. Chroniques d’Histoire maçonniques 2001. [6] Claude Frydman – Le Grand Orient au Moyen-Orient. [7] Trouver les francs-maçons à Jérusalem par Nadav Shragai – bulletin du 27 avril 2012, publié dans Israël Hayom, le 17 février 2014. [8] Albert Londres – Le juif errant est arrivé, 1930. [9] Roger Nicolet – Historique G.L. Palestine, 17. [10] Lucien Sabah – Compte rendu du voyage d'Arthur Groussier
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